Alors que les députés débattent dans la nuit de la réduction drastique des emplois aidés, Jean-Baptiste de Foucauld, ancien haut fonctionnaire de Bercy et auteur de plusieurs rapports sur le retour à l’emploi, dénonce une mesure injuste.
Examiné dans la nuit de mercredi à jeudi par les députés, le volet travail du projet de loi de finances devrait être l’occasion d’une passe d’armes musclée sur la réduction drastique des emplois aidés. Pour marquer sa volonté d’en découdre, le groupe Nouvelle gauche a reçu une délégation d’associations œuvrant dans les domaines de l’insertion de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion. De fait la décision sans sommation du gouvernement Philippe divise, y compris les cercles intellectuels sociaux-démocrates, favorable à la politique du chef de l’Etat.
Compagnon de route de Jacques Delors et auteur de plusieurs rapports sur le retour à l’emploi, l’ancien commissaire au Plan Jean-Baptiste de Foucauld alerte sur les dégâts sociaux prévisibles d’une mesure à rebours complet de la philosophie revendiquée par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. Coordinateur du Pacte civique, collectif d’associations et de citoyens décidés à promouvoir un nouveau «vivre ensemble», l’ancien haut fonctionnaire de Bercy s’inquiète du manque de cohérence entre les engagements et les actes de Macron.
Partagez-vous l’avis d’Emmanuel Macron quand il qualifie les contrats aidés de «perversion des politiques de l’emploi» ?
Personnellement, je ne suis ni un aficionado d’Emmanuel Macron, ni un anti-macroniste. Cet homme a une sorte de génie et je partage en grande partie son projet. Mais en l’espèce il fait une erreur. Je crains qu’il ne crée une incompréhension au regard même du projet qu’il dit être le sien. Il se disait rawlsien, mais cette décision me laisse penser qu’il ne l’est pas assez. La redynamisation de l’économie doit se faire au service des plus défavorisés, pas à leur détriment. Les contrats aidés, régulateurs très importants du marché du travail depuis trente ans, malgré leurs défauts, ont permis de soutenir des centaines de milliers de personnes en difficulté et de leur donner une utilité économique et sociale. Il semble l’oublier.
Le Premier ministre, Edouard Philippe, a confirmé vouloir ramener à 310 000 cette année et moins de 200 000 en 2018 le nombre de contrats aidés signés (contre environ 460 000 en 2016). Qu’en pensez-vous ?
La méthode est brutale et la décision prise sans aucune concertation. Le résultat, c’est qu’on va accroître un peu plus la souffrance sociale. Fin 2016, on comptait 1,8 million de personnes au RSA socle. C’est énorme. Même si la reprise économique est au rendez-vous, ils n’en profiteront pas les premiers. Pour eux, un emploi aidé est souvent une remise en selle indispensable et une vraie chance. En France, le devoir de travailler mais aussi le droit au travail est inscrit dans la Constitution. Notre démocratie semble avoir abandonné cette exigence.
Le gouvernement qui dit vouloir «passer d’un traitement social du chômage à un traitement économique» estime que pour lutter contre le chômage, il est plus efficace d’investir dans la formation. Partagez-vous cet avis ?
Ça ne marche pas aussi simplement. La formation ne crée pas mécaniquement l’emploi. S’agissant des chômeurs de longue durée et a fortiori des personnes éloignées du marché du travail, la formation n’est efficace que si elle s’inscrit dans le cadre d’un vrai accompagnement et d’un emploi. Pour réussir l’insertion, le triptyque accompagnement-emploi-formation est la formule gagnante incontournable. Dispenser la formation «hors sol» est peine perdue dans l’immense majorité des cas. C’est d’ailleurs ce qui explique en partie le meilleur taux de retour à un emploi durable observé dans les contrats aidés du secteur marchand par rapport au secteur non-marchand. Parce que ces contrats sont subventionnés, les entreprises vont embaucher des chômeurs de longue durée ou des publics discriminés dont elles auraient eu tendance à se méfier. Mais le pas franchi, beaucoup font tout pour que leur nouvel employé contribue à la production de richesse, en les formant et les accompagnant. Ce n’est pas toujours le cas dans le secteur public, loin s’en faut.
Selon une étude récente de la Dares, du point de vue du retour à l’emploi, le bilan des contrats aidés dans le secteur public est très «mitigé»…
On a globalement gâché ce qui aurait pu être une politique de «plein-emploi volontaire», cette idée que la société française doit s’organiser et se mobiliser pour donner du travail à tout le monde, ce qui est l’un des buts du Pacte civique. Depuis l’origine, les contrats aidés ont surtout été un instrument de toilettage des statistiques du chômage. L’éducation nationale ou la justice par exemple usent trop souvent des contrats aidés comme une main-d’œuvre d’appoint peu coûteuse, sans se soucier d’agir en faveur de l’insertion durable des personnes concernées. L’exécutif a toujours privilégié la quantité de contrats signés sur la qualité de l’aide apportée aux personnes en difficulté, l’efficacité statistique sur l’efficacité économique et sociale, oubliant l’importance de l’accompagnement. J’attendais du Président qu’il corrige ce déséquilibre. Lui-même affirmait cette volonté mi-octobre dans son entretien au Point. Mais cela pêche du côté de la justice. La baisse de l’ISF, la mise en place de la flat tax, la hausse de la CSG passeraient sans doute beaucoup mieux si on ne tirait pas en même temps le tapis sous les pieds des personnes les plus en difficulté. Il y a là un problème de cohérence qui doit être corrigé sans attendre.
Pour le gouvernement, le coût du dispositif (plus de 2 milliards d’euros) semble rédhibitoire dans l’actuel contexte budgétaire…
Je sais bien que le budget de la France est plombé depuis de longues années, entre une fiscalité importante, des dépenses publiques excessives et des déficits récurrents. Pendant sa campagne, Macron a multiplié les promesses au point qu’il a aujourd’hui du mal à les concilier avec son engagement européen. Pour des raisons que je comprends, il a décidé d’honorer les plus structurantes économiquement dès le début de son quinquennat. Bercy lui a présenté l’ardoise avec insensibilité. Mais, je persiste à dire que, s’il manque de l’argent pour les emplois aidés, il faut trouver ailleurs. C’est le prix à payer pour la justice sociale. Il ne faut pas oublier que s’il suffit d’une pichenette pour exclure, il faut un treuil pour réinsérer.
Ian says
Ce sont toujours les plus pauvres qui trinquent….
Ian Clegg says
Et c’est la meme chose partout